carpe jenn pasacao philippines

Me voici donc de nouveau à Manille. Rien de vraiment surprenant puisque j’y suis déjà allé deux mois plus tôt, pour le spring break. Après m’avoir récupérée à l’aéroport, Claire m’a emmené à GAWAD KALINGA “Enchanted farm” , siège de l’ONG situé dans la commune d’Angat (à environ 1h30 de la capitale, Manille). Pendant dix jours, j’y ai suivi une formation sur l’organisation et la vision du projet. J’ai également eu la chance de rencontrer Tito Atto, le fondateur de cette organisation. En ce qui concerne mon logement, j’ai été “adoptée” par une famille locale : kuya Kaël (kuya = grand frère), sa femme ate Carla (ate = grande sœur) et leurs trois adorables garçons. Ils m’ont raconté leur histoire, et cette histoire est très commune à beaucoup de Philippins.

carpejenn gawad kalinga philippines

Les Philippines sont confrontées à de nombreux typhons en raison de sa position géographique. La plupart des gens là-bas ne peuvent pas s’offrir une maison en béton et quand les périodes de typhons arrivent, c’est une catastrophe. Beaucoup de gens perdent plus qu’une maison, ils perdent une partie de leur enfance, une partie de leur histoire et dans le pire des cas, ils perdent des proches. Le projet principal de GAWAD KALINGA est d’aider les gens par deux moyens :

  1. Construire des maisons en dur capables de résister aux typhons
  2. Aider les personnes concernées à trouver un emploi/une formation pour recommencer (ou plutôt continuer) leur vie sur des bases solides, les rendant ainsi indépendantes.

Le travail de chaque groupe de volontaires consistait à remplir ces deux missions dans le village où ils étaient affectés : chaque groupe composé de 5 à 8 personnes se voyait envoyé dans une localité précise des Philippines, où leur soutien était attendu.

Ecole élémentaire d’Angat

Quand j’ai réalisé que je devais quitter Kuya Kaël et toute la famille, j’étais vraiment attristée. Le fait est que la Enchanted farm est l’endroit le plus développé de tout le projet GAWAD KALINGA. Des maisons sont construites, les enfants vont à l’école, les gens ont un travail ou suivent une formation. Il n’y avait pas grand-chose à faire là-bas en terme de développement. Cette étape temporaire était juste une induction permettant de cerner le projet avant d’aller apporter son aide. Ailleurs.

Welcome to Pasacao !

Pasacao. C’est le village dans lequel j’ai été affectée avec 5 autres bénévoles. Nous avons chacun été adopté par une famille du village. Ma nouvelle famille est composée de Grace, qui a 4 ans de moins que moi, son mari (en voyage les deux premières semaines de ma mission, je l’ai rencontré plus tard), et leur adorable fils RV. Grace a été un vrai coup de coeur ! Et je suis heureuse que nous soyons encore en contact 8 ans plus tard. Le village était très joli : quelques maisons en dur, d’autres en construction, un puits à quelques 100 mètres en hauteur, un verger avec une petite variété de fruits et légumes, la mer à proximité. Le village comptait moins de 200 personnes. Une grande famille.

Gawad Kalinga – Pasacao

Nous sommes venus avec comme mission d’aider au maximum au développement de ce village, et aujourd’hui encore, je suis fière du travail qu’on y a accomplit, nos actions là-bas m’ont rendue plus heureuse que tous les diplômes, jobs, bien matériels que j’ai pu obtenir dans ma vie.

Concrètement, qu’est ce que j’ai fait en 2 mois et demi dans ce village ?

MISSION 1: RECENSER LA POPULATION: savoir comment ils ont fini par se retrouver sans foyer, et parfois sans famille. dans 80% des cas, la raison était la même, un typhon violent qui détruit tout, et (presqu’) aucune ressource pour se remettre sur pied. Une fois ce recensement fait (sur quelques jours), on a activé les autres missions.

MISSION 2 : ACTIVITES PHYSIQUES que nous avons mené chaque jour jusqu’à notre départ : aider aux plantations et aux récoltes, que ce soit dans le champ attenant au village, ou dans la nature environnante. Deuxième mission quotidienne : aider à la construction des maisons. Le village accueillant de nouveaux habitants assez fréquemment, de nouvelles maisons étaient construites au fur et à mesure. Bon, comme tu le sais, je ne suis ni ingénieure ni architecte, ma fonction consistait à ramener des briques d’un point A à un point B, et franchement j’en étais fière !

MISSION 3 : ENSEIGNER L’ANGLAIS. Dans le village, peu de gens parlaient l’anglais en plus du dialecte local. Pourquoi l’anglais ? Etant la langue universelle, il nous a semblé important qu’ils en maîtrisent les bases. Ne sachant pas de quoi demain est fait, peut-être l’anglais serait-il une compétence appréciée pour un futur travail ?

MISSION 4 : L’EMANCIPATION ET L’INDEPENDANCE. Je pense que c’était de loin la mission la plus importante. Je crois sincèrement que Dieu nous a donné des dons à tous, et cette mission en était encore la preuve. Une fois toutes ces personnes logées de manière stable, l’organisation estime que la priorité est de permettre à tous ceux qui n’ont pas d’emploi d’avoir une activité leur permettant de subvenir à leurs besoins. Nous avons donc procédé à un deuxième recensement, celui de tous les savoirs du village :

  • Artisanat : les femmes de Pasacao sont très douées pour la fabrication de tapis et paniers à partir de matériaux locaux
  • Pêche : certains hommes avaient réussi à se fournir des bateaux et avaient constitué leurs propres kits de pêche
  • Cueillette : la spécialité des enfants mais pas que! Monter à plusieurs meètres sans aucune sécurité pour cueillir des noix de coco est un art qu’il faut maitriser.
On en parle de la dextérité ? Il est à plus de 3 mètres de haut

Okay, et ensuite ? qu’avons-nous fait de ces informations ? Nous avons obtenu un rendez-vous avec la mairie locale et négocié pour que toutes les personnes ayant une activité puissent vendre le fruit de leur travail sur les marchés locaux. Quelle joie! Parallèlement, nous avons oeuvré pour un deuxième projet : Mettre en avant l’artisanat de Pasacao dans les guides touristiques locaux. Lors de mon départ le projet était en cours, et aurait été finalisé par l’équipe après la nôtre!

DES LEÇONS POUR LA VIE :

Quand on est bénévole, on peut avoir l’impression que c’est nous qui apportons quelque chose à l’autre, nous qui allons lui enrichir sa vie. Cette expérience m’aura appris tout le contraire et enseignée des leçons pour la vie:

LA PRECIOSITE

Il n’y avait pas de circuits d’eau existant dans le village. Envie d’une douche ? Il fallait prendre son sceau et aller chercher ses quelques litres d’eau dans un puits situé à quelques dizaines de mètres en hauteur. Le chemin était escarpé, et redescendre avec un sceau plein relevait d’une réelle épreuve ! je ressentais la valeur de chaque goutte d’eau perdue en route, et pendant la douche, j’étais reconnaissante pour chaque gobelet d’eau que je versais sur mon corps. Dans ma vie quotidienne actuelle, l’accès à l’eau est tellement évident et banal, mais je n’oublie jamais que ce n’est pas le cas partout.

LA BIENVEILLANCE

J’ai été marquée par un épisode particulier. Une nuit je me suis réveillée au milieu de la nuit suite à un cauchemar, j’avais rêvé que ma mère était morte. Angoissée comme jamais, j’ai absolument tenu à l’appeler (il était 3h00 du matin aux Philippines, 10h00 au Congo). Pour cela, il fallait que je sorte de la maison avec mon ordinateur pour me mettre dans un endroit du village ou je captais assez bien pour pouvoir utiliser skype (whatsapp n’existait pas encore en 2012!) J’ai fondu en larmes lorsque j’ai entendu sa voix qui a confirmé que mon cauchemar était juste un cauchemar. Après avoir raccroché, j’ai eu la peur de ma vie en voyant plusieurs ombres autour de moi. Mes sanglots et ma voix avaient réveillé plusieurs habitants qui m’ont demandé ce qu’il se passait. Après leur avoir expliqué la situation, ils m’ont dit que dans leur tradition rêver de la mort d’un proche est signe qu’il va vivre longtemps. Clairement je n’étais pas convaincue du tout, mais ça m’a vraiment fait chaud au coeur de voir ces personnes me réconforter à 3 heures du matin quand ils auraient pu continuer leur nuit tranquillement dans leur foyer.

EMBRASSER UN BONHEUR EPHEMERE

Je ne partais pas du tout dans l’optique de développer une relation amoureuse avec qui que ce soit, et pourtant j’ai pêcho 🤣. Monong a a été une rencontre totalement inattendue. Ca a été un coup de coeur réciproque immédiat. Je qualifierais notre relation d’idylle. Elle était simple et belle. Il m’emmenait à la pêche, on apprenait ensemble des morceaux à la guitare le soir devant le feu, on discutait de nos cultures respectives, de nos familles. Il me posait beaucoup de questions sur le Congo et la vie là-bas. Et surtout on rigolait tout le temps! Son anglais n’était pas très bon, mon tagalog (dialecte local) était pire! Et pourtant on arrivait très bien à communiquer. On savait tous les deux que cette relation ne survivrait pas à la distance, le voulions-nous même ? A aucun moment nous nous sommes projetés, on prenait le bonheur jour après jour sans se soucier du lendemain. Même nos au revoirs n’ont pas été difficiles, on était juste heureux et reconnaissants du temps passé ensemble.

LES ENFANTS

Le bien-être des enfants m’a toujours importé, mais ce voyage a décuplé cette cause en moi. Il m’a rendue très sensible au bonheur et à la santé des enfants. Peut-être parce pendant ces mois, j’ai été confrontée chaque jour à la souffrance plus ou moins relative de certains d’entre eux. Voir un enfant malheureux (pas à cause d’un bobo ou d’un caprice) est l’une des choses que j’ai du mal à supporter. Un enfant est censé jouer, rigoler, vivre dans l’insouciance, appréhender le monde de manière pérenne. Il aura bien assez de soucis à l’âge adulte.

Dans le village, deux cas m’ont marquée : le premier concernant un enfant qui souffrait d’une atrophie d’une jambe et la béquille le soutenant était bien trop petite. Le deuxième enfant, d’environ 5 ans était né sans anus, et on avait du lui greffer une poche externe raccordée à son colon, pour évacuer les selles. En vérité, je pense que ma souffrance à chaque fois que je les voyais était plus forte que la souffrance qu’ils ressentaient (si tant est qu’ils en ressentaient une). Ils étaient toujours en train de rigoler, de faire les 400 coups, leur handicap ne semblait pas les déranger outre mesure. Mais moi ça me fondait le coeur même si je ne le montrais pas.

Tu sais, donner de l’argent pour aider peut parfois être mal interprété, certaines personnes peuvent le vivre comme une atteinte à leur dignité, d’autres encore comme un rapport de force imposé. Surtout quand personne ne t’a rien demandé. Je ne voulais surtout pas véhiculer ce message, surtout qu’au final ces enfants vivaient très bien leur situation. Alors plutôt que de dire aux parents “voilà de l’argent pour une béquille à sa taille” ou “comment peut-on améliorer sa santé?” je parlais avec les enfants, on organisait des jeux, on organisait des sorties, des activités qu’ils avaient choisies. N’est-ce pas ce qui importait au final ? le bonheur du moment présent ?

UNE VIE EN TOUTE SIMPLICITE

Ces 3 mois ont sûrement été ceux ou je me suis rendue le plus accessible et le plus vulnérable envers autrui. Déjà d’un point de vue cosmétique et vestimentaire : crème pour le corps/déo et short/tshirt. Voilà ce qu’ont été mes #ootd. Le minimum du minimum! Je m’habillais pour ne pas être nue c’est tout. D’autre part, je n’étais pas dans un milieu ou je devais me vendre ou “prouver ma valeur” comme cela peut être le cas dans un milieu professionnel. Du coup que restait-il ? Le moi véritable. Avec sa famille et ses amis, c’est simple d’être soi. Avec des inconnus, l’exercice de se mettre à nue a été intimidant les premiers jours, mais j’ai très vite lâché prise. Niveau santé mentale, je pense que j’étais au max. Bien dans mon corps, bien dans ma tête.

Et depuis ?

Cela fait maintenant 8 ans que j’ai vécu cette expérience. Je suis toujours en contact avec Grace, nous nous parlons régulièrement, elle me donne des nouvelles de tout le monde. La vie au village a évolué, des groupes de bénévoles ont continué d’y affluer pendant encore 4 ans après mon départ. L’organisation a rencontré des difficultés mais continue d’être là. Avec la distance, la seule manière que j’ai d’apporter du soutien à Grace et son fils (elle n’est plus en couple avec le père de RV), est en lui envoyant de l’argent de temps en temps. Grace est une entrepreneure dans l’âme! Elle a 1000 projets, ne se laisse pas démotiver par les épreuves de la vie, et je prie pour que tous ses projets deviennent réalité.

Grace

Les années qui ont suivi, j’ai voyagé, beaucoup. Est-ce qu’un jour je retournerai au Philippines ? c’est une évidence. Avec les années et la maturité qui en a découlé, je me rends compte que c’est un réel trésor d’avoir tissé un lien durable avec des personnes que je considère aujourd’hui comme faisant partie de ma famille.

Les feux du soir, un de mes moments préférés

Suite à cette expérience, j’ai également commencé à faire des dons de manière régulière à plusieurs associations pour les enfants. Il y a évidement différents combats dans la vie, et je ne me permettrai jamais de dire que l’un est plus important que l’autre, les enfants est juste celui qui me parle le plus. Aujourd’hui, je trouve que “juste” donner de l’argent est suffisant, et je souhaite m’investir plus. Je suis en train de mûrir plusieurs projets, peut-être que tous ne verront pas le jour, peut-être même qu’ils seront tous voués à l’échec, mais le pire échec n’est-il pas finalement de ne rien tenter ?

One thought on “Philippines partie 2/2 : l’expérience

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